Les morves subtiles du paradis de Béatrice Dacher comme des satins volatiles amoureux

Tout l’art de Béatrice Dacher est activé dans le bouillonnement alchimique des rencontres et de la convivialité. Elle perçoit, capte, absorbe, transforme les données qu’elle redistribue pour échanger, donner, partager. Elle passe du privé le plus troublant à l’évidence universelle comme par magie. C’est la relation qui irradie toutes ses pièces par d’heureuses combinaisons. Elle transmute. Qu’elle rassemble les vases, les oiseaux, les supports, les lettres et les messages, c’est toujours pour imaginer d’autres projections personnelles à offrir aux autres en inventant des circulations poétiques pour la beauté des échanges. En prélevant du limon les fragments de mosaïque et de carrelage arrondis et lissés par les érosions du temps, elle enregistre en peinture les motifs et les écritures qu’elle distille. « Béa » collectionne les mouchoirs, elle photographie les traces de vie, elle peint aussi souvent sans peindre comme on mouche le monde avec les revers pour affronter les miasmes éprouvant du réel entre les noeuds. Sa série de mouchoirs est une activité en boucle, une pratique au goutte à goutte, un mouvement perpétuel. C’est triste et joyeux. C’est toujours positif. Les mouchoirs de « Béa » sont des carrés sensuels qu’elle effeuille comme un journal de poche vivant. Ses mouchoirs tremblent. Ils sont habités. C’est évident. Ils font tous de la musique soit pour la lutte, soit par épanouissement et sagesse. Les esprits envoûtent les linges et la dentelle. Ils murmurent, ils chantent entre les plis, chuintement et bruissement d’émotion dans les mouvements imperceptibles, monde de rêve et de souvenirs irisés dans la complainte, symphonie suggestive. La palette de « Béa » est généreuse. Les carrés de tissus flottent comme des méduses, ils frissonnent profondément à la surface, ce sont des parures intimes, fragiles qui ondulent en révélant d’autres mondes de notre monde et parfois quand ils sont brodés, ajourés, troués, on dirait des petites larmes de mémoire entre les trous des broderies qui s’incrustent, cristallisées et ça pétille. « Béa » dessine, peint, brode, tamponne, imprime. Elle frôle ou déchire chaque mouchoir pour convoquer des confidences méditatives avec légèreté, fluidité, évanescence mais aussi parfois avec rage, farouchement, en urgence. Elle procède par alternance, traces d’énergies, huppes, notations spirituelles, sorte de mantra sismographiques, ritournelles obsédantes, répétitives, prolongées et pensives en caressant la soie ou bien alors, ça pulse avec frénésie, c’est érectile, ça décharge par évocations fulgurantes, là, elle griffe, froisse pique et pique, érafle le satin grave ses tensions d’humeur dans la peau des cotons, révèle des instantanés de paysage, des expériences fugaces, spontanées puis de nouveau, elle étale encore en badigeonnant, tartinant une effusion de jus, mucus, morve magique, pétales, pulpe, semences, mouillettes d’amour, gourmandises parfois très très figuratives comme des oiseaux muets au potentiel bruyant et chaque figure transfigure merveilleusement. C’est mélodique. Les mouchoirs accumulés convoquent le rythme d’un tout, c’est un ensemble, une collection comme des constellations ponctuées de mouchoirs-refrain vibrants, des visions-flash, des secrets, des désirs, des extases subliminales qui vacillent, sensibles, délicates tel un tempo hypnotique, un rythme d’intuition, une géographie des sens qui affleure en pochade. Ses mouchoirs suggèrent jour après jour de nouveaux petits écrans simultanés du film de la vie qui défile la fractalité de toutes les vies parallèles à la fois jusqu’à appréhender en transparence l’invisibilité des ondes infinies. Ca débobine puis ça rembobine avec grâce. Chaque sécrétion mentale est une vision qui redessine l’apparition d’insaisissables tracés raffinés au-delà des mondes du monde. On le perçoit dans les nervures temporelles, on devine des présences antérieures, des mondes cachés, noyaux parallèles, fantaisies, blessures, joie à partager, renaissance. Il y a beaucoup de mélancolie. Béa peint « à fleur d’oiseau » comme on dit « à fleur de peau » avec ivresse. Les mouchoirs de « Béa » sont des catalyseurs existentiels, ils expansent le temps, convoquent la multiplicité des genres en projetant des identités recomposées, des parfums, des coquetteries. Ils semblent vouloir toucher l’essentiel avec presque rien. Ils sont comme des désirs dépliés, des excitations, des mutoscopes solitaires qu’elle redistribue comme un don… Du pansement au doudou, du bandeau à la pochette sophistiquée, etc… ses mouchoirs propagent leurs messages cryptés et se transforment en mystère pour une illumination de la conscience. Ils sont aussi parfois chloroformés pour neutraliser ou bien compressés comme des baillons qui bourrent la bouche à fond pour étouffer les cris, ils peuvent suinter de violence, de révolte…. mais le plus souvent d’amour……………………………………………

Bon, je vais agiter mon mouchoir galant pour vous saluer. Au revoir. Au revoir. By By !
Hiouppie.

( texte achevé à Venise dans les reniflements avec un maxi-rhume et une consommation affolante de mouchoirs. Ha Ha Ha Ha ha ha ! )

Joël Hubaut. Fin octobre 2019